Actus des entreprises • Interview
Interview croisée entre David Cabero et Jean-François Rezeau
La hausse des droits de douane de 20 % décrétée par le Président des États-Unis va frapper de nombreux secteurs d’activité de l’Union européenne. La structure des économies espagnole et française présentant des similitudes (agroalimentaire, agriculture, viticulture, tourisme, industrie -notamment automobile-…), il était intéressant de croiser les regards de David Cabero, Président de la CCI France Espagne Barcelona et responsable de BIC, et de Jean-François Rezeau, Président de la CCI Occitanie. L’occasion pour eux d’évoquer aussi les forces et faiblesses des deux économies, les échanges intra-européens -notamment transpyrénéens et les actions de leurs CCI respectives.
La France est le premier client de la Catalogne -moteur de l’économie espagnole- ainsi que son premier fournisseur, ce qui représente un flux de 38 milliards d’euros par an. Comment aller encore plus loin dans le développement de ces échanges ?
David Cabero : Il y a quelques accords transfrontaliers récents sur le ferroviaire, l'énergie… Mais pour aller plus loin en termes d’échanges, je pense qu'il y a un premier sujet qui est celui des infrastructures. Je crois beaucoup au proche export, c’est-à-dire aux échanges entre des régions qui sont très proches, dont la culture, la langue, l’histoire… sont proches car ces peuples sont plus liés. Je pense que les Chambres doivent faire un travail vis-à-vis des autorités nationales, locales, multinationales pour prioriser ces voies qui contribuent à développer les relations. En parallèle, il faut aussi développer les rencontres et contacts entre les différentes parties prenantes de l'activité économique via des actions communes dans lesquelles on amène des entrepreneurs occitans en Catalogne, et vice versa, pour faciliter le networking, les connexions pour générer du business, que ce soit commercial, d'investissement…Je pense que c'est tout cela qui devrait être la priorité. En résumé, quand on parle d'infrastructures, on parle de décisions de politique économique nationale. Là, il faut, avec nos amis de la CCI Occitanie, que nous menions des actions de sensibilisation, d'influence, de lobbying, auprès de nos décideurs politiques respectifs. À côté de cela, il y a des actions que nous pouvons conduire nous-mêmes. Nous avons ainsi choisi d’être au capital du Campus barcelonais de TBS Education pour, justement, travailler à créer du lien.
Jean-François Rezeau : Pour accélérer et amplifier le développement des échanges entre les deux territoires cousins et voisins que sont la Catalogne et l’Occitanie, plusieurs éléments sont nécessaires. Des éléments d’ordre logistique : il faut en effet des infrastructures adaptées à un renforcement des flux, à l’instar du service de fret ferroviaire direct entre Toulouse et le Port de Barcelone. Sans transbordement de marchandises ni changement de locomotive au niveau du tunnel du Perthus, il fait circuler des convois de conteneurs de 750 mètres, soit la longueur maximale autorisée en Europe. Des éléments d’ordre humain : il faut également des interlocuteurs opérationnels compétents, investis, soucieux de l’intérêt économique et partageant cet objectif. Nous les avons comme l’a confirmé la récente visite à la CCI Occitanie d’Azar Agah-Ducrocq, Consule Générale de France à Barcelone, et de Christian Marion Carreras, Directeur général de la Chambre de Commerce et d'Industrie Française de Barcelone. Il faut également des éléments d’ordre politique et de vision stratégique. Née dans les années 2000, l’Eurorégion Pyrénées-Méditerranée matérialise le projet politique de coopération territoriale entre plusieurs régions européennes (dans le cas présent, la Catalogne, les ex-régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées et les Baléares). L’Eurorégion compte environ 17 millions d’habitants et est économiquement plus importante et puissante que de nombreux États européens. Pourtant, en observant le détail des flux transfrontaliers, on constate qu’ils concernent seulement quelques milliers de personnes, ce qui est faible comparé aux flux de marchandises. C’est pour cette raison qu’il faut accélérer afin de valoriser et exploiter pleinement tous les atouts de ce formidable territoire.
La CCI Occitanie et la CCI Pyrénées-Orientales sont parties prenantes du projet Proxterra* qui vise à soutenir le secteur agroalimentaire en Catalogne, en Ariège et dans les Pyrénées-Orientales. On pourrait aussi citer le programme INTERREG VI-A Espagne-France-Andorre 2021-2027 POCTEFA. Les CCI ont-elles un rôle particulier à jouer dans cette logique transfrontalière ?
DC : Je pense, parce que dans l'agriculture, il y a un aspect proximité qui est de plus en plus important avec le développement de la préoccupation pour l'environnement, le changement climatique… Il faut donc voir comment agir pour maintenir ce type de propriété de proximité. Ce sont souvent de petites propriétés qui ont du mal à trouver le bon canal commercial. Il faut pour cela une appellation d'origine crédible, une marque soignée, un produit qui a du sens… Notre chambre de commerce a ces contacts avec les acteurs de la distribution régionale, locale, nationale et peut aider dans la mise en contact, dans la participation à une petite foire… Je pense donc que les chambres de commerce peuvent aider à la mise en contact, au networking dans un écosystème où, souvent, l'agriculteur est très spécialisé sur la production mais un peu moins expert du marketing et de la vente. Donc, oui, je pense que nous pouvons et devons aider dans cette mise en contact avec la distribution pour mettre en valeur les marques et les productions locales de qualité.
JFR : Tout à fait. Premier réseau de service public du développement économique, notre réseau est « l’opérateur du dernier kilomètre des entreprises » grâce à sa proximité au quotidien avec celles-ci. Le maillage du territoire assuré par les 13 CCI d’Occitanie prend toute son importance dans notre région dont 60 % sont en zones de haute et moyenne montagne. Car, en Occitanie, parler de transfrontalier, c’est parler des Pyrénées. On l’a dit, parler de transfrontalier, c’est aussi parler d’infrastructures. Ports, aéroports, aérodromes, zones d’activité économique, centres de congrès, parcs d’exposition, pépinières d’entreprises… : les CCI sont impliquées dans la gestion des principaux équipements contribuant au développement économique. Un autre point nous donne un rôle particulier à jouer ici. Le transfrontalier, c’est certes du proche export mais c’est déjà de l’export. La CCI Occitanie est l’un des piliers de la Team France Export Occitanie qui, aux côtés de la Région, de Business France, de Bpifrance, des Conseillers du Commerce Extérieur…, accompagnent les entreprises dans leur développement à l’international. Je terminerai en rappelant que la CCI Occitanie est le coordinateur sur le quart Sud-Ouest de la France du réseau Entreprise Europe (EEN). Cofinancé par la Commission européenne, le réseau EEN s’inscrit dans les stratégies de l’Union européenne de soutien aux PME dans leur développement et leurs transitions. C’est le plus grand réseau mondial dédié à la croissance des PME par l'innovation, l'internationalisation, le développement durable et le digital. Donc oui, les Chambres de commerce et d’industrie de France et d’Espagne ont un rôle particulier à jouer pour accompagner le développement des échanges transfrontaliers.
La venue récente de Christian Marion, Directeur général de la CCI France Espagne Barcelona, à la CCI Occitanie pourrait-elle être un jalon entre vos deux CCI pour des échanges plus réguliers avec la CCI de région mais aussi avec les CCI des départements transfrontaliers d’Occitanie (Ariège, Hautes-Pyrénées et Pyrénées-Orientales) ?
DC : Tout à fait ! La première offre que je fais à Jean François, c'est qu'il vienne nous voir : il est invité. Nous serions très heureux de l'avoir en fin d’année pour le Prix Pyrénées, le grand événement annuel dans lequel nous remettons à Barcelone un prix aux entreprises - françaises ou espagnoles- qui ont performé, ont investi… Ce serait l’occasion de faire peut-être une réunion, de partager un déjeuner… pour évoquer ensemble tous les sujets que nous venons d’évoquer. L’idée est bien sûr d’arriver à inscrire ces échanges dans la durée avec une participation régulière de nos deux chambres aux événements organisés de part et d’autre de la frontière. Et d’organiser la venue d’entrepreneurs et d’entreprises de nos territoires respectifs pour accélérer le business.
JFR : Merci à David pour cette invitation ! Oui, il est important d’essayer de nous voir plus fréquemment et régulièrement. Car, si c’est un plaisir, c’est aussi un gage d’efficacité pour nos actions communes et pour le développement de nos entreprises. J’ai le sentiment que le fonctionnement vers lequel nous devrions tendre est un peu celui d’un club d'entreprises, avec des rendez-vous réguliers, des thématiques, des ordres du jour, des livrables pour la fois suivante… : bref que l’on passe peu à peu en mode projet pour être pleinement efficace, notamment pour les projets à venir. Alors que le Salon du Bourget vient de fermer ses portes il y a quelques jours, comment ne pas mentionner FRAMES, projet de coopération transfrontalière dans le cadre du Programme POCTEFA, auquel participent Aerospace Valley (France), AERA (Aragon, Espagne), HEGAN (Pays basque, Espagne) et la CCI ?
Le projet vise à renforcer et moderniser les chaînes de valeur de l'Aérospatiale, de l'Espace et de la Défense dans les régions participantes en promouvant l'adoption des technologies de l'Industrie 4.0 et 5.0, avec un accent fort sur les PME manufacturières. FRAMES entend proposer à celles-ci un Catalogue des Capacités Industrielles, qui cartographiera les capacités, les besoins et les forces des PME dans les secteurs ASD à travers les régions transfrontalières. L’exemple de ce projet confirme la nécessité de systématiser nos rencontres pour mieux connaître nos écosystèmes respectifs, leurs atouts, leur potentiel et leurs opportunités.
*PROXTERRA est un nouveau projet financé par le programme européen POCTEFA 2021-2027, développé en partenariat par des acteurs publics des territoires des Pyrénées orientales, catalanes et ariégeoises. Il a pour objectif de créer un lien entre les producteurs, distributeurs et consommateurs afin de les aider à réussir ensemble, dans une démarche de production et de consommation locale transfrontalière, en circuit court : Proxterra